Extraits :
« L’étoile brillante du matin allait mettre un point final à la nuit la plus courte de l’année. Dans sa datcha, le maître du Kremlin dormait encore. La veille il avait veillé tard pour lire une dernière note de Béria : « De nombreux fonctionnaires tombent dans des provocations honteuses qui sèment la panique. Ces agents doivent être transformés en poussière dans les camps comme complices des provocateurs internationaux qui souhaitent que nous nous querellions avec l’Allemagne. » En repliant la note, un imperceptible sourire de ruse et de raillerie avait plissé les lèvres du dictateur. »
« Serguei Sokolenko n’avait pas oublié ce jour où un haut fonctionnaire du ministère de la Production, un certain Boris Piménov, était venu spécialement de Moscou pour lui remettre l’Ordre de Lénine et le promouvoir « Héros du travail socialiste ». Un mythe Sokolenko était né à Poltava, faisant de Serguei l’homme le plus admiré et le plus craint dans l’énorme combinat avaleur de troncs de bois où il travaillait. »
« Anna avait un sombre pressentiment. Ces affiches qu’elle voyait partout lui faisaient froid dans le dos. À midi tapantes, elle continuait à rencontrer Véra Ivanytch mais n’échangeait que peu de mots avec elle. La femme de l’ancien maire de Lvov, le premier qui se leva face aux Allemands était une femme surveillée. Anna lisait dans ses yeux l’inquiétude que lui causait Miloutikha. Celle-ci était sans doute en sûreté tant qu’elle restait dans cet appartement au milieu des ruines où personne n’aurait pu soupçonner qu’un espace de vie fût possible. »
« Bientôt les Allemands seraient là. Véra avait déverrouillé la porte. À quoi bon les contraindre à fracasser sa belle porte en chêne clair ? Ce n’est pas une simple porte qui allait arrêter cette horde sauvage. »
« Chacune sentait bien que ce départ sonnait comme un adieu. Anna vivait la situation sans gémissement, sans ces criailleries qui n’auraient montré que sa faiblesse. Elle était triste mais forte devant cette séparation qui allait l’éloigner de Véra auprès de qui elle avait appris à devenir une femme, mais elle savait aussi qu’il fallait qu’elle soit solide pour affronter des lendemains pleins de périls qu’elle pressentait sans pouvoir encore les imaginer. Pour le moment, son expression marquait plus la méfiance du présent que l’inquiétude du futur. »